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Genèse d’une base d’archives sonores complémentaires, la base RADdO, et contribution aux recherches en ethnomusicologie

L’Office pour le Patrimoine Culturel Immatériel-Ethnodoc est l’héritière de plusieurs associations : Tap Dou Païe a crée Arexcpo (la majorité des fonds sonores est encore sa propriété), puis Ethnodoc, qui est une émanation d’Arexcpo, a été créée et a pris son indépendance avec l’OPCI. Toutes sont liées par leur investissement pour le patrimoine sonore en Pays de la Loire mais aussi, plus récemment, sur un plan national avec des travaux portant sur les musiques traditionnelles (participation à la numérisation du fonds Redhon en Mayenne, recherche sur le patrimoine chanté traditionnel et populaire en Vendée avec notamment le fonds Alfred Hérault), sur les musiques maritimes avec le projet « mémoire collective d’un port et de son quartier » à Sète, à Fécamp ou encore à Douarnenez et une fiche d’inventaire relative aux rondes chantées dans le marais breton vendéen… En 1996, lors de la fête maritime de Brest 96, la première base de données informatique est présentée au public par Arexcpo, s’ensuit une réflexion qui aboutit en 2004 à la création d’une base mutualisée : RADdO (Réseau d’Archives et de Documentation de l’Oralité). Dans ces années là sont saisies l’ensemble des références Laforte, complétées, au fur et à mesure des éditions, des catalogues Coirault. André-Marie Despringre propose de substituer au concept de « classification » antérieur, celui de classement (ex. Usages/fonctions des musiques). La base RADdO suit les éléments de classification permettant l’étude des chansons par « type ». En s’appuyant sur les travaux de Coirault et Laforte, Jean-Pierre Bertrand de l’OPCI complète régulièrement ces catalogues, en proposant des cotes EA (Ethnodoc). Aujourd’hui, la base RADdO contient plus de 422 000 notices et 60 000 chansons éditées et inédites, correspondant à 9210 chansons-type. En 2007, le choix est fait de son développement via une technologie indépendante basée sur des logiciels libres du Web et d’une gouvernance dans un cadre associatif. La technologie utilisée est adaptée et développée avec l’aide du LINA (Laboratoire d’informatique de Nantes-Atlantique).


Fonctionnement et partenariat

La base RADdO regroupe des fonds déposés par des membres du réseau ou constitués, majoritairement, par les enquêtes de l’OPCI à partir de 2009. Cette base numérique deviendra un outil majeur de sauvegarde et de valorisation des pratiques orales et des archives sonores collectées lors des multiples enquêtes réalisées au sein de l’OPCI. L’accès aux 350 000 fiches que compte la base en 2020 est gratuit et en ligne. Grâce à un financement de l’État, la base est interopérable depuis 2019. En ce qui concerne l’accès au processus de traitement et d’indexation, les membres s’acquittent d’une cotisation annuelle qui participe au financement de la maintenance et du développement de l’outil et à l’accompagnement des membres. Chaque membre est libre de se retirer en récupérant ses métadonnées ou de les laisser en copie en partage. Depuis 2007, en ce qui concerne le web, l’Office est soucieux d’entretenir une proximité avec les chercheurs de l’informatique (notamment avec le LS2N-CNRS à Nantes, l’agence iRéalité, l’école Polytech).

Par des expérimentations de terrain (utilisations des QR codes à partir de 2010) ou l’organisation de rencontres (Oralité et musées en 2013 à Trélazé, Mémoires entrelacées en 2014, Rendez-vous du patrimoine vivant depuis 2018, Olé la Vendée en 2021 ) l’OPCI participe à la réflexion sur les enjeux et l’usage du numérique pour le patrimoine sonore par exemple avec la Fédération Départementale des Musiques Traditionnelles de Vendée (plateforme en cours de réalisation). Les partenaires de l’OPCI-EthnoDoc peuvent être associés à la démarche d’accompagnement et de traitement comme les services des Archives Départementales pour les dépôts de documents et/ou de copie des archives traitées par l’Office, les cinémathèques départementales en ce qui concerne le traitement et la conservation d’archives filmographiques, la Bibliothèque nationale de France pour la numérisation d’archives sonores publiques déposées à l’OPCI. Des liens se créent aussi autour de la base avec les différentes ethnopôles (Vitré, Salagon, La Rochelle…)

Des cas concrets et pratiques

Désormais, la base s’enrichit au fil des enquêtes menées par les partenaires de l’OPCI. Ainsi, Pauline Grousset, dans le cadre de la recherche pour sa thèse sur la transmission des musiques maritimes de Nantes à La Rochelle, a utilisé la base RADdO pour appréhender le répertoire maritime existant sur le territoire qu’elle étudie. « J’ai d’abord utilisé les outils « Territoire » et « Usage, circonstances ». Cela permet de se rendre compte que certains titres et certaines paroles reviennent, et subséquemment d’utiliser les champs « Mots clés » et « Mot(s) du titre ». Ensuite, lorsque l’on connaît un peu le catalogue Coirault, on peut s’appuyer sur le champ « Thème Coirault ». Une fois tous les résultats croisés, on se retrouve donc avec un corpus conséquent sur lequel s’appuyer. » explique-t-elle. La base RADdO est participative : toute personne ou organisation accréditée peut déposer des archives et créer des notices. Après sa thèse, Pauline pourra donc améliorer les notices déjà existantes, mais aussi déposer ses propres archives, facilitant ainsi la vie aux chercheuses et chercheurs qui s’intéresseront également à ce sujet.

L’interdisciplinarité, une ligne directrice de l’OPCI-EthnoDoc

Les bases numériques de fonds sonores ou centre d’archives numériques tels que RADdO doivent être accessibles aux musiciens professionnels comme aux publics scientifiques. La recherche par thème, fonction ou « type » de chansons permet d’élargir le contexte d’une œuvre et d’ajouter à la question musicale, des problématiques sociologiques et anthropologiques. Cette catégorisation crée une possibilité d’interdisciplinarité et une forme d’accessibilité plus grande à des non-initiés. Si la plupart des ethnomusicologues sont issus des cursus anthropologiques, la question de l’interdisciplinarité que soulève la base est importante pour les anthropologues qui ne sont pas spécialistes de ce domaine et souhaitent malgré tout traiter les relations entre la culture d’un territoire et la musique qui s’y joue, même si certains chercheurs affirment qu’il n’y a pas de lien entre la structuration du groupe et le style musical. La base permet ainsi de relativiser la notion d’altérité, puisque les anthropologues peuvent étudier scientifiquement la musique d’un territoire local occidental et sans pour autant disposer des notions complexes de l’ethnomusicologue. Elle permet de créer des conjonctures nécessaires entre anthropologie et musicologie.

La recherche sur RADdO par la notion de « contexte » d’une œuvre musicale posent évidement la question de l’influence des « cultural studies » et de l’autonomie ou non de l’objet musical. Si la classification permet de mieux appréhender les universaux de la musique, la taxinomie de la culture (et donc de la musique) n’a pas toujours bonne presse, notamment parce qu’elle induit une dualité savant/populaire mais aussi une forme d’enfermement des choses complexes dans des petites boîtes étriquées. Il est clair toutefois, qu’interroger ces formes de classifications musicales permettent aussi de les faire évoluer.

En un clic ?

Les problématiques liées à la recherche d’informations musicales font l’objet d’une mobilisation importante de la part de différentes communautés scientifiques. Depuis 2000, le colloque international ISMIR (International Conference on Music Information Retrieval) structure ces questionnements. Concernant RADdO,  la base n’est pas soumise à la SACEM, puisque les fonds sonores traditionnels qu’elle regroupe sont du domaine public. Par ailleurs, tout n’est pas accessible par le grand public comme certaines pièces musicales éditées. Quelques pièces archivées, notamment celles écrites sur un recueil de timbres posent également questions. Pour des raisons évidentes, nous ne pouvons pas rendre accessibles les pièces musicales éditées qui sont soumises à ces lois, mais quid des chansons parodiques ? Une chanson écrite sur un air déposé à la SACEM peut ne pas être accessible, pourtant elle peut aussi être un marqueur fort d’une identité locale, ce qui fausse l’idée qu’on peut se faire d’un répertoire en cherchant sur RADdO. Cela nous confronte aussi à un problème quasi philosophique : que signifie « traditionnel » ? Nous l’avons vu, sur RADdO, le choix a été fait de trier par de très nombreux critères, très majoritairement anthropologiques, contrairement à la plupart des bases de données musicales. Cela permet de se détacher des étiquettes purement commerciales type « world music », qui font plus de mal que de bien, et de mettre en avant l’aspect humain, pas seulement d’un point de vue des communautés géographiques (exemple du gros problème de l’étiquette « musique bretonne », ou pire « musique celtique ») mais aussi du point de vue du contexte et de l’usage des pièces (un chant à virer guadeloupéen remplit la même fonction qu’un chant à virer anglais, et ils ont donc des caractéristiques techniques bien plus proches qu’un chant à virer et une complainte bretons). Cela permet aussi de mettre en valeur la circulation des pièces, et, par conséquence, des populations.

Ainsi, face aux géants numériques (Wikipédia, Myspace, Last.fm, Deezer, Sounundwound, Soundcloud, Jamendo, Discogs, Jibra …) et aux bases de données musicales bien connues du public scientifique (telles que Borée, Chronopéa, NEUMA, Musicastalis, Musiconis, Sequentia, NAXOS, MusicOnline, etc.) RADdO propose une approche complémentaire et pratique.

Et l’éthique ?

S’ils collectent des archives d’utilisation transversale, les concepteurs et professionnels de la base RADdO, comme toutes les bases de données en ligne, gérées, améliorées et documentées par des humains, des associations et institutions qui ont donc des valeurs, des principes, une éthique n’en ont pas moins des problématiques contemporaines : comment protéger la propriété intellectuelle ? Comment soutenir la vitalité d’une base avec des nécessités éthiques que l’on rencontre dans l’ensemble de la vie quotidienne et qui correspondent à une vraie demande de l’utilisateur ? Comment concilier la conservation des archives en veillant simultanément à une utilisation écologique du numérique ? Le choix de l’hébergeur du site est finalement la question qui se règle le plus facilement, grâce aux divers hébergeurs qui existent et qui ont eux-mêmes des systèmes éthiques divers.

Le travail fait globalement à l’OPCI tourne autour de la conservation mais aussi et surtout de la valorisation des cultures locales. Or, nous ne possédons pas cette culture, et il est de notre devoir d’ouvrir la porte aux populations pour qu’elles puissent s’impliquer et reprendre possession de leurs cultures. Cela passe donc, entre autres, par l’archivage. La première question à laquelle le collecteur/archiviste est confronté, c’est donc celle du consentement de son informateur et en conséquence de la propriété intellectuelle : on ne saurait accepter comme légitime une autorisation d’enregistrement ou de diffusion obtenue sous la contrainte ou la menace, explicite ou non, ou encore une autorisation obtenue auprès d’une personne dont la capacité de discernement ou de décision est mise à mal. On ne peut s’empêcher de penser aux multiples histoires, racontée aux étudiants anthropologues comme des légendes effrayantes que l’on dit à voix basse au coin du feu, dans lesquelles l’enquêteur a fait boire son informateur, ou l’a harcelé de demandes, dans le simple but d’obtenir un témoignage que la personne n’avait au départ pas envie de donner. Si nous ne connaissons pas de cas où cette situation est applicable sur RADdO, c’est une question que l’enquêteur se doit de garder à l’esprit : ai-je obtenu ces informations éthiquement ?

Les concepteurs et les professionnels de l’OPCI-Ethnodoc souhaitent partager non seulement leurs compétences, mais également leurs valeurs, en osmose avec le temps présent. Leur approche est à la fois pragmatique et éthique pour créer un modèle d’archivage participant à un écosystème du futur.


Autrices/auteurs :

Marjorie Ruggieri, chercheure, responsable du pôle recherche à l’OPCI-EthnoDoc

Pauline Grousset : doctorante en ethnomusicologie à Sorbonne Université

Guillaume Blin : Responsable des fonds sonores à l’OPCI-Ethnodoc

Odile Amossé : Cheffe de choeur, stagiaire à l’OPCI en 2022

Michael Lainard : Administrateur de la base de données en ligne


Bibliographie et Webographie :

Lien vers sources numérisées et conservées

https://raddo-ethnodoc.com/archive/119506

https://raddo-ethnodoc.com/raddo/personne/H%C3%A9rault/Alfred%20(Roland%20Firmin%20Ferdinand)

Centre de musique baroque de Versailles, https://cmbv.fr

Médiathèque de la philharmonie de Paris, https://philharmoniedeparis.fr/fr

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Culture populaire traditionnelle, histoire d’une transmission – Vendée 1970-2015, Vendée 1970-2015, de Tap dou païe à EthnoDoc.  PCI, Arexcpo, L’Harmattan, 2015. 436 p.

et Cahier de répertoire des musiques jouées en Vendée, Edition Ecole départementale de musique traditionnelle de Vendée, Vendée Patrimoine, 2011-2013 (bi-annuel)

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L’art des sonneurs de trompe. Histoire, tradition et avenir, Actes des rencontres de juin 2016 à Tours, FITF, OPCI, Paris, L’Harmattan, 2018

Jouer son monde, Sociologie des musiciens traditionnels amateurs, thèse d’Anne-Cécile Nentwig. OPCI, Paris, L’Harmattan, 2016.

Le chant de plein air des laboureurs. Dariolage, briolage… Recherches sur une tradition au Pays de la Châtaigneraie. Actes du colloque de Mouilleron-en-Pareds (2010), communauté de communes du pays de La Châtaigneraie, EthnoDoc-Arexcpo, OPCI, Vendée-Patrimoine, L’Harmattan, 2012. 400 p.

Fécamp en chansons, tome 1 (2018) et 2 (2022), collection « ports en chansons », OPCI, projet « mémoire collective d’un port et de son quartier »

Recueil Douarnenez en chansons, à paraître (2022), OPCI, projet « mémoire collective d’un port et de son quartier »

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