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Marchandisation des patrimoines : intervention de Marjorie Ruggieri à la 17e Journée du CFPCI

17e Journéedu patrimoine culturel immatériel Théâtre de l’Alliance Française- Maison des Cultures du Monde Paris vendredi 19 novembre 2021.

Cette 17ème journée du PCI a permis de revenir sur des points importants de la recherche sur le patrimoine à savoir les effets positifs et/ou indésirables de la marchandisation des patrimoines (images et produits dérivés d’un patrimoine paysager), En effet, d’une part, Marjorie Ruggieri (chercheure à l’OPCI) a présentée une thèse menée au sein de l’EHESS entre 2016 et 2020 portant sur la culture du lavandin sur le plateau de Valensole, montrant une marchandisation voire une surmarchandisation du paysage et de l’objet lavande et sa mise en scène récurrente par de multiple acteurs à chaque floraison. D’autre part, Chloé Rosati-Marzetti (Anthropologue associée LAPCOS (EA 72-78), Université Côte d’Azur) a fait le récit d’un contre-exemple de dossier de patrimonialisation et une “artefactisation” de la ville, des pratiques et des savoirs-faire des “parfums de Grasse”.

Pour l’anthropologue Marjorie Ruggieri, la marchandisation de la lavande puis du lavandina valansolais a d’abord permis de créér de nombreux emplois dans l’agriculture, le commerce de souvenirs, la restauration, et une forme d’agritourisme présents depuis la fin des années 1980 à Valensole. La pionnière Michèle Angelvin installera, en 1984, le premier hangar de vente devant son exploitation, Parrallèlement, elle part une valise remplie de fiole d’huile essentielle faire les marchés de la région. Dans le centre de Valensole, une première boutique de souvenirs s’ouvre début des années 1990, à coté du bar de la place, puis une deuxième, puis une troisième. Même la Fontaine à vin, qui ne vendait que du vin élargi sa gamme aux produits locaux (et moins locaux), les dérivés de la lavande en tête. Mais c’est seulement en 1993, lorsqu’un besoin de développement économique se joue au niveau de tout le village que Maurice Chaspoul, alors délégué municipal et Rémi Richaud, de l’entreprise de patés et pâtes du même nom, cherchent à mettre en avant ce qu’ils considèrent comme l’un des « trésors de Valensole ». Ils imaginent la Fête de la lavande et des stands de produits dérivés. Lors de la fête, les gestes anciens, les costumes, les démonstrations de coupe à la faucille désormais désuétes montrent la lavande comme un patrimoine “traditionnel” et “authentique” lié à un certain “âge d’or”, où les gens “travaillaient dur”. Il s’y joue également un enjeu pour être reconnu « capitale de la lavande » titre que se disputent les communes de Dignes, de Sault ou encore de Valensole. À cette occasion, Valensolais et néos-Valensolais jouent également des coudes pour être bien placés sur la grande allée. La fête est surtout l’occasion de remplir les comptes d’une activité très saisonnière que ce soit pour les boutiques, pour les lavandicultuers ou les apiculteurs du plateau, En 2017, c’est une forme hybride de musée qui ouvre à Valensole, le MEA. Le propriétaire, un lavandiculteur y vend les produits de sa récolte entre deux panneaux explicatifs illustrant des gestes d’Antan. Désormais de nombreuses communes de la Région Sud (Avignon, Aix-en-Provence, Marseille, Etc.) utilisent l’image de la lavande et leur proximité avec des champs de lavandes pour leur propre marketing touristique.

L’arrivée des touristes du monde chinois (dès 2008) et ceux des pays de l’Est a particulièrement bouleversé l’attractivité et l’activité commerciale déjà très saisonnière (juin-juillet) et très concentrée sur une partie du plateau. Commerçants et photographes de la Région Sud ont su s’adapter à ces nouveaux marchés, (photographes qui se spécialisent  dans les photos de mariage chinois à la provençale, packaging spéciaux pour les vols en avions, prix inscrits en chinois, certains menus traduits en chinois, nombreux stands de nouilles, un stand de photo ouvert par deux Manosquins pour satisfaire aux touristes chinois et la présence dans chaque boutiques de l’ourson violet). L’enquête montre également que les touristes observés sur le plateau de Valensole appartiennent à une génération avec une culture et des pratiques hybrides à plusieurs points de vue. La consommation de produits français et la visite de boutiques locales font partie de l’expérience de visite mais les observateurs parlent moins de « tourisme ostentatoire » et davantage de « sophistication du touriste ». En 2015, dans le journal Les Échos, la journaliste Myriam Chauvot écrit un article intitulé : « Pour les touristes chinois, la culture l’emporte désormais sur le shopping» Pourtant, derrière la carte postale idyllique de ce tourisme d’excursions, se cachent de nombreuses situations de frictions liées à cette marchandisation soudaine du plateau et de ses champs (embouteillages, manque de places de parking, manque de toilettes, incivilités sur les champs). En outre, et en contre-partie, cette focalisation “lavande” des multiples acteurs (associations, commerçants, hebergeurs, médias, etc.) a fagocité d’autres industries et d’autres patrimoines ont failli disparaître (de vieux casseoirs à amandes ont été sauvés par une association valensolaise, les vieilles espèces d’amandiers ont été arrachés, déclin  du commerce du blé). Les témoignages confirment qu’ici comme ailleurs « C’est encore le commerce qui décide ! » (René Zenatti, lavandiculteur à la retraite)

Lors de cette journée, Chloé Rosati-Marzetti présentait ses travaux de thèse soutenue en 2013 et portant sur un autre patrimoine culturel immatériel provençal, les parfums de Grasse, la ville ayant depuis était reconnue « capitale mondiale du parfum ». Son intervention a permis de comprendre la construction de l’identité de Grasse autour de l’industrie du parfum, allant jusqu’à la diffusion d’odeurs de fleurs dans les rues de la cité pour bien associer ce patrimoine olfactif aux représentations touristiques de la ville. Ces éléments (vieil alambic sur un rond-point, statue d’une dame humant une rose, odeur de fleurs qui se dégagent, musée du parfum, labels…) confortent les touristes dans la recherche d’« authenticité » et « de patrimoine ». Mais Chloe Rosati va plus loin et montre que Grasse est le contre-exemple en matière de dossier de patrimonialisation. Chloe dénonce une forme de récupération politique du dossier porté à l’UNESCO en 2018 face à une indifférence locale devant les démarches, voire des locaux qui se sont élevés contre une vision désuète et tronquée de la réalité grasseoise. De plus, jusqu’alors, la capitale mondiale du parfum comptait de nombreuses filiales de production à l’étranger et les entreprises locales de parfums avaient très peu participer au dossier de patrimonialisation. Toutefois, Chloë montre que depuis quelques années la ville travaille à davantage d’implication de la communauté locale. Depuis sa recherche et le dossier portait à l’UNESCO, des écoles grasseoises ont été impliqués avec la création de poèmes sur le parfum, des santons de la crèche de Noël représentent désormais des métiers liés au parfum (bouilleur de crue, nez et cueilleuse) et une école de chimie et de parfum s’est récemment ouverte à Grasse.

Quoiqu’il en soit, les débats de la journées ont pu soulever les relations entre patrimonialisation, marchandisation et tourisme. Les interventions ont permis de nourrir des réflexions sur des formes de tourisme liés au PCI et qui seraient plus soucieux de l’authenticité et du respect des savoirs-faire, des pratiques et des lieux.

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