Hommage à Michel Raballand
La culture maraîchine perd l’un des siens. Et quel représentant ! Michel Raballand c’est le chanteur-danseur-conteur mais aussi le porteur-continuateur-transmetteur de gestuels typiques du Marais breton-vendéen. Un homme passionné, attaché à l’héritage constitué de tous ces éléments culturels qui ont été créés, développés et transmis depuis des générations par les habitants du Nord-Ouest vendéen. C’est une référence, et quelle référence ! Michel, auquel nous associons Yvette, son épouse, restera l’une des Mémoires vivantes de la culture maraîchine.
Derrière cette bonhommie qui l’animait vivait un fervent défenseur des traditions locales.
Puriste, toutes ses activités liées à des savoir-faire ancestraux – qui apparaissaient naturelles chez lui – étaient transmises en recherchant la précision du fait. Dans sa vie de chauffeur, au volant d’énormes véhicules, il était l’homme de son temps, appréciant le confort de la modernité sans tomber dans le renoncer aux valeurs paysannes.
Michel est né à Sallertaine, d’une famille d’agriculteurs, le 7 avril 1939. Il devient l’un des commis vachers du marchand de bestiaux Souchet. C’est dans ce cadre-là qu’il évoque le chant avec les bovins, ravivant les phrases de René Bazin, l’écrivain au Prix Goncourt. Il est environné d’une famille de chanteurs, son père joue de la mandoline aux veillées.
Comment a-t-il rejoint notre monde des musiques traditionnelles ?
Yvette et Michel sont venus un soir, tout simplement, se présenter à une répétition de Tap Dou Païe : « on aime ça ! » est le prétexte d’une introduction trop modeste. C’était un samedi soir de l’année 1988. Le couple et ses deux filles s’étaient engagés, préalablement, avec le groupe folklorique Tor’niquett’.
Au sein de l’ensemble de musique et danse traditionnelle maraîchin, Michel est partout, comme les autres… mais lui sait mener la grand’danse comme personne ! Il a l’art de cette ronde ancienne dans ses gènes. Et puis il possède une voix inimitable, reflet d’un art ancien du chant, et notamment de la pose de la voix ; une esthétique de la voix que le grand musicien médiéviste Marcel Pérez qualifie de « cantorale ». Lorsque nous sommes contactés en 1989 par l’équipe chargée d’inviter une brochette de grands chanteurs traditionnels français au grand festival mondial Smithsonian Folklife Festival à Washington, nous demandons tout naturellement à Yvette et Michel d’y participer, comme ambassadeurs de la culture vivante maraîchine.
Amateur de théâtre, Michel est aussi acteur, jouant comme dans sa vie quotidienne. Pas besoin de se forcer, c’est naturel : le maraîchin est sa langue maternelle ! Il dit de petites historiettes pour amuser tout le monde – même ceux qui ne comprenaient pas – mais maîtrise aussi l’art de conter. Bien entendu, il est de ceux qui fréquentent les Brimbalures au sein de Tap Dou Païe.
Diseur de la légende du Pont d’Yeu lors de la soirée Conte du salon du livre de Graslas en 2009, il fait démonstration de ses talents de conteur, comme dans les veillées d’avant la télévision.
Michel, c’est une voix ! Il a le timbre caractéristique des chanteurs de plein air, de pleine gorge…
Avec lui, il n’y a pas besoin de micro ! Il chante haut, comme le faisaient les paysans d’avant la propagation du music-hall et de la variété. Que la chanson soit en français ou en langue maraîchine, l’accent est omniprésent. Tout est naturel. Aussi, l’Arexcpo ne manque pas de le solliciter dans différents enregistrements. Citons, parmi d’autres les chants brefs des branles menés pour danser, comme Quand y tuons le goret (cote 085_01_2010_5567 dans la base RADdO), ou Sur le cabinet mon cousin (085_01_2016_0015), du CD Tap Dou Païe chantent, la Vendée danse, en 2000.
Mais c’est dans l’art de mener la grand’danse que Michel excelle. D’ailleurs, il en était le spécialiste tant sur scène que lors des enregistrements pour la production de CD. Des exemples : A Paris il y a une Flamande (085_01_2010_5588), dans Tap Dou Païe chantent, la Vendée danse, où Maurice Artus et les chanteurs de Sounurs ripounent sur une harmonisation d’Evelyne Girardon, en 2000, ou Bon petit vin d’où de viens-tu ? pour l’édition Incore ine vérinaïe, en 2015. Et tant d’autres lors des spectacles, des stages, des initiations de scolaires…
Nous aurons un coup de cœur aussi pour Yvette, son épouse, tout aussi pétrie de culture maraîchine. Excellente danseuse, elle est aussi une chanteuse traditionnelle. On peut apprécier son art du chant dans La chanson du pêcheur (085_01_2012_2542), dans l’album Fi d’vess, en 1992.
Le couple Raballand vit modernement, en tenant compte de ses racines. Installés dans leur maison basse contemporaine près de Coudrie, ancienne dépendance de l’abbaye du même nom, à Challans, il y a ce qu’il faut pour vivre aujourd’hui. Mais les habitudes maraîchines sont omniprésentes dans la t’chusine, le jardrane, et le marais environnant. Michel connaît les richesses de cette terre difficile. Il sait y cueillir les produits que tant de générations ont récoltées avant lui.
Michel, souvent accompagné d’Yvette, couple inséparable, est de toutes les actions d’Arexcpo. Il est à la fois dans ceux qui sont indispensables dans les coulisses pour les préparations matérielles que pour l’animation face au public. Il est aux grillades aux Feux de la Saint-Jean, à la restauration de matériels anciens, il semelle les sabots… Il est aussi dans le groupe qui enrichi l’Atlas linguistique sonore qu’Arexcpo a lancé sous la houlette de Pierre-Marie Dugué. Bien entendu, Yvette vient avec la langue de Saint-Hilaire-de-Riez, Michel celle de Sallertaine. On les retrouve tous les deux sur le site RADdO fournissant plusieurs centaines d’expressions maraîchines (https://raddo-ethnodoc.com/raddo/recherche/oral?recherche=1langue=Mara%C3%AEchin&type[]=5).
Avec OPCI-EthnoDoc, Michel va être l’une des références de la culture maraîchine. Bien entendu ses gestes caractéristiques vont être filmés, comme la pêche à l’anguille à la treille, technique prohibée mais, pour l’occasion de sa sauvegarde, reprise pour un couple d’heures. C’est aussi, la démonstration de le technique de faire broumer la poêle, ce gestuel multiséculaire, à l’occasion de la soirée de la Saint-Jean.
Il sera du groupe de Maraîchins qui participeront à la transmission des recettes de cuisine familiale qu’initient EthnoDoc et l’Office de tourisme de Siant-Jean-de-Monts en 2014, programme repris par l’Office de tourisme intercommunal depuis. Ce sera l’occasion, non seulement de devenir le chef de chefs cuisiniers, mais d’accepter le filmage de la préparation des anguilles, depuis le dapiautage jusqu’à la minutieuse grillade.
Lors de la reformation du groupe Touline en 2012, il fut de ceux qui étaient partant pour que les chants de marins se fassent entendre à nouveau sur scène.
Michel a vécu les lendemains du conflit mondial, c’est-à-dire le passage de la civilisation de l’ère préindustrielle à la modernité, au tout confort que nous connaissons aujourd’hui. Pour ne donner qu’un exemple, point d’électricité ni eau courante à la maison ! Le gamin de Sallertaine est environné de témoins porteurs de coutumes, d’habitudes, de rituels d’un autre temps. Adolescent, son travail le conduit chaque jour auprès des agriculteurs maraîchins pour y enlever leur bétail destiné aux foirails de la région. Que de rencontres ! Il écoute, il observe… et se souvient. Aussi, il devient un témoin capital. Depuis les années 1990, il est sollicité pour sa mémoire précise des faits qu’il partage naturellement, sans en rajouter. Un centre ressource à lui seul.
Lorsqu’ils sont sollicités par l’association Terre de Sallertaine, le couple Raballand répond favorablement, évidemment. Là encore, Michel tient un rôle capital d’animateur jouant de tous ses talents d’homme de scène.
Le couple quitte Tap Dou Païe en 2017, l’âge faisant ils avaient du mal à suivre le rythme des spectacles, avec divers changements de costumes et scénettes variées et s’engage au Poucton avec La noce maraîchine, créée par l’incomparable Jean-Pierre Pouvreau. Le groupe d’animation, où il était encore la saison dernière, assure près d’une cinquantaine de représentations annuelles.
Une vie au service de la culture maraîchine :
t’ché pu qu’rane !
Michel tu restes dans nos cœurs, pour toutes et tous. Les membres des associations Arexcpo et OPCI-EthnoDoc, adressent leurs très sincères condoléances à son épouse Yvette, ses deux filles Fabienne et Nathalie, à leurs gendres. Toute une famille au service de la culture maraîchine : merci.
Jean-Pierre Bertrand
pour OPCI-EthnoDoc et Arexcpo.